Voir le film ici en vf (en bas, choisir ok.ru)
http://sokrostream.biz/films/zero-theorem-20794.html
De nouveau je ne suis pas d’accord du tout avec ceux, assez nombreux, qui enfoncent le film:
http://www.lemonde.fr/culture/article/2014/06/24/zero-theorem-un-retour-aux-sources-rate-pour-terry-gilliam_4443326_3246.html
lente et triste agonie artistique ? Quel excès !
Mais le pire est L’express:
http://www.lexpress.fr/culture/cinema/zero-theorem-egale-la-tete-a-toto_1553980.html
Je ne dis pas que c’est le film du siècle, ni même le meilleur film de Terry Gilliam mais de là à dire que le film vaut zéro…
Je ne comprends pas non plus ceux qui trouvent le scénario déconcertant ou incompréhensible, c’est très clair au contraire et pas vraiment original, mis à part qu’il s’agit de science fiction mais dont on observe les prémisses aujourd’hui dans ce que l’on appelle « réalité virtuelle »
Le sens de l’histoire est inscrit, ce que personne ne semble avoir remarqué (il est vrai qu’il n’est pas nécessaire d’être hébraïsant pour être critique cinématographique), dans le nom même du personnage principal joué par Christophe Waltz:
QOHEN LETH
(nom important puisqu’il est toujours obligé de l’épeler: Q sans U puis O H E N)
Ceci renvoie au mot hébreu COHEN (avec un Kaf : K) qui veut dire « prêtre »
Pourquoi le Q sans U au début ?
Pour évoquer un autre mot hébreu : QOHELETH (avec non plus un Kaf = 20 mais un Q = Qof = 100) qui est le titre d’un des livres sapientiaux de la Bible:
QOHELETH = L’ecclésiaste
dont le texte est bien connu, et paraît fort différent des autres livres de l’Ancien Testament, ce livre est ici:
http://www.info-bible.org/lsg/21.Ecclesiaste.html
« Paroles de l’Ecclésiaste, fils de David, roi de Jérusalem.
1.2
Vanité des vanités, dit l’Ecclésiaste, vanité des vanités, tout est vanité.
1.3
Quel avantage revient-il à l’homme de toute la peine qu’il se donne sous le soleil?
1.4
Une génération s’en va, une autre vient, et la terre subsiste toujours.
1.5
Le soleil se lève, le soleil se couche; il soupire après le lieu d’où il se lève de nouveau.
1.6
Le vent se dirige vers le midi, tourne vers le nord; puis il tourne encore, et reprend les mêmes circuits.
1.7
Tous les fleuves vont à la mer, et la mer n’est point remplie; ils continuent à aller vers le lieu où ils se dirigent.
1.8i
Toutes choses sont en travail au delà de ce qu’on peut dire; l’oeil ne se rassasie pas de voir, et l’oreille ne se lasse pas d’entendre.
1.9
Ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera, il n’y a rien de nouveau sous le soleil.«
ce qui correspond bien à la personnalité dépressive, angoissée et solitaire du personnage du film, informaticien chargé par Mr Management (Matt Damon) de démontrer le théorème zéro : « il n’y a pas de sens à l’histoire de l’univers qui naît de rien et retourne à …rien »
En somme Qohen Leth représente le scientifique, »héritier » en une certaine mesure de l’homme de foi du Moyen Age comme du désenchantement del’Ecclésiate, il vit dans une église désaffectée parce que la science moderne au 17 eme siècle s’est effectivement constituée sur le socle du christianisme (L’évêque Copernic, Descartes le catholique fidèle) et Alexandre Kojève le philosophe athée et marxiste montre qu’elle n’aurait pas pu prendre naissance en climat juif, musulman, païen, chinois, ou hindou.
Mais la science née du christianisme se met aussitôt à détruire ce qui constituait le sens du monde pour les croyants, chrétiens ou non chrétiens, et aujourd’hui son œuvre est achevée : les « Grands récits » religieux, ou « émancipateurs » (marxisme) se sont effondrés, et l’homme occidental (comme d’ailleurs de plus en plus le non occidental) est dans un « état » analogue, plus ou moins, à celui de Qohen Leth dans le film de Terry Gilliam: on ne vit plus qu’au jour le jour, content si l’on a un « job » et si l’on est ainsi un instrument du « système » (Gestell), si l’on peut encore partir en vacances ou si la Bourse monte. Ou si une nouvelle guerre n’a pas éclaté pendant la nuit.
Il y a désormais un problème mondial de la fatigue disait Baudrillard il y a longtemps, dans « La société de consommation » il me semble; et le spectacle de la « société du spectacle » ferait mentir Brunschvicg, si celui ci n’avait pas précisé prudemment que l’Occident n’a jamais produit que de bien rares exemplaires de cet « homme occidental » qu’il décrit :
http://leonbrunschvicg.wordpress.com/about/